Ici, c’est un baigneur ébouriffé, son regard est vide, il se tient en haut d’un escalier bordé de cuvettes de WC en céramique blanche. Là, ce sont des personnages aux vêtements écarlates, bras tendus, qui flottent au-dessus des pierres et de la végétation, puis des animaux efflanqués aux yeux irradiants, le corps en alerte, au milieu des herbes, puis un personnage de carnaval au visage brun, le torse bombé. Là encore, c’est un petit édifice en palettes de bois avec une croix au-dessus, et les éléments colorés d’une crèche à l’intérieur. Ces petites scènes prennent place au milieu de nulle part, au détour d’une route ou d’une levada, sur l’île de Madeira.
Elles se trouvent aussi dans les villes. Sur le port de Ribera Brava, c’est une représentation avec des vierges, un Sacré Cœur, un bateau de plastic orange, et un sabre noir, ou espada, le poisson en abondance sur les marchés de l’île. Et voici le renard et le Petit Prince côte à côte dans une rêverie contemplative, tout en cannettes brillantes de Pepsi, Sprite et autre, cette fois dans une rue de Câmara de Lobos.
Les objets ainsi mis en scène sont à base de vieux vêtements, de statuettes au rebut, de morceaux de bois inutilisés, de toilettes récupérées. Quelques-uns ont une fonction définie, comme éloigner les oiseaux ou témoigner d’un intérêt religieux, d’autres ont simplement une visée décorative, ou ludique, ils ont été fabriqués et sont exposés pour le plaisir. La plupart sont des pièces isolées, si bien que leur existence semble due au hasard de matériaux déchus et d’un peu d’imagination, non d’un véritable projet. Ce sont des œuvres cocasses, intrigantes, amusantes, qui égaient le paysage ou la rue, rien de plus semble-t-il.
Les créateurs de ces œuvres éparses et incongrues sont les parents pauvres du Royaume de l’Art. Leur production reste associée aux milieux populaires et aux cultures locales. Elle exprime sur un mode spontané, parfois qualifié de naïf, la vision d’un monde où l’ordinaire et le surnaturel se côtoient, où le grotesque, le trivial, le pied-de-nez, l’innocence, l’émotion poétique ou esthétique sont inséparables. C’est une production discrète et éphémère, celle des sans grade, qui n’aspirent pas à l’éternité.